02 mai 2010

Reluisante tranche de vie


Au cinéma avec ma mère. Le film terminé, nous décidons de passer aux toilettes. Il y a une petite file d'attente devant nous, dont deux petites chicks manifestement pas très allumées puisque, mon tour venu, je m'aperçois qu'il y avait plein de cabinets libres mais dont les portes fermées laissaient croire le contraire. Et nous, on attend des heures derrières vous, bravo. Mais bon, ça ferait mauvais genre d’aller le leur signaler pendant qu’elles sont au lieu d’aisance. Je garde ça pour moi. Bref, j'entre dans une de ces cabines j’ai-l’air-occupée-mais-en-fait-non et je referme la porte derrière moi. Le loquet se montre assez récalcitrant; c'est peut-être pour ça que personne n'osait s'y aventurer. En insistant un peu, il finit par se barrer correctement.

Je fais ce que j'ai à faire, puis je m'apprête à ressortir.... mais bien sûr, le loquet farceur refuse tout net de s'ouvrir. Rien n'y fait: je tire de toutes mes forces, je tente de soulever la porte, de la pousser vers le bas, genre stratagème mécanique... rien. Et je commence à m'énerver. J'ai chaud. Je me raisonne, je respire : bon, pas de panique, au pire je sors par en-dessous. Je jauge l'espace sous la porte: trente petits centimètres de hauteur, tout au plus. J'entrevois déjà la honte d'avoir à sortir d'une toilette en rampant, sous le regard stupéfait d'une quinzaine de petites madames prêtes à pouffer de rire. Ok, non: solution exclue d’office par mon orgueil.


Pas le choix, je continue de me battre avec le loquet. On ne sait jamais, il est peut-être seulement coincé. Mais les minutes passent, ma mère est déjà aux lavabos et elle va bientôt se demander ce que je glande. Je ne peux quand même pas crier "Youhou, mesdames! Je suis prise aux toilettes comme une conne!". Au moment où j'envisage à nouveau de m'en extirper par le bas - je l'ai déjà fait, après tout, en 3ième année A, et je ne suis pas morte -, j'entends la voix de ma tante, qui se trouve là par hasard et qui discute avec ma mère. Ça c'est super, je vais m'humilier devant pleins d'inconnues ET devant ma famille. Trop génial.


Tellement génial que j'ai de plus en plus chaud. Limite panique irrationnelle. Avec l'énergie du désespoir, je tente un ultime combat avec ce loquet de merde: je tire, je tire, je tire de toutes mes forces. Ah et si je poussais... ça glisse comme du beurre dans la poêle. Bien sûr qu’il fallait pousser.


Je sors de la cabine, rougeaude, les jambes molles et le cœur qui palpite jusque dans les gencives. Flot d'endorphine - ou de je ne sais quelle hormone - de celle qui vient d'échapper à une mort certaine. Soulagement de n'avoir pas crié, ni signalé au personnel la défectuosité d'un loquet dont je n’ai pas le Q.I. pour me souvenir s'il se tire ou s’il se pousse.


Ma mère - on la salue, d'ailleurs - ne s'est rendue compte de rien. C'était long avant que je sorte, mais elle a eu a délicatesse de ne pas me demander ce que je fabriquais pendant si longtemps aux toilettes.


Ça m’a fait penser à ma splendide métaphore de vie d’il y a quelques semaines : parfois, je me sens comme une loutre pas de bras et gluante qui tente d'escalader un mur de glaise humide et très haut. On peut être tellement découragé devant une situation donnée et avoir l'impression qu'on n'a pas les outils pour passer à travers. Parfois, c'est plutôt vrai: il y a de ces épreuves intenses qui demandent beaucoup d'efforts. Mais d'autres fois, moi, la loutre pas de bras je capote pour rien alors que j’ai des jambes fonctionnelles que je suis juste trop sur les nerfs pour remarquer et que le haut mur en question a une porte qui ne demande qu’à s’ouvrir. Et je me crée beaucoup de stress inutile à en tirer le loquet alors qu'il n'y avait qu'à le pousser.

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